La contrée c'est comme le sexe : si tu n'as pas un bon partenaire, tu as intérêt à avoir une bonne main

La charcuterie

dimanche 20 novembre 2005.
 
Lorsqu’Hervé m’a demandé si j’étais libre pour jouer à la contrée contre son cousin et un de ses amis ce samedi soir là, j’étais tellement excité à l’idée de pouvoir rencontrer de nouveaux adversaires que j’ai instantanément annulé la partouze à laquelle j’étais convié ce soir là. Je ne savais malheureusement pas que douleur, impuissance et défaite seraient les seuls sentiments perçus en pénétrant quelques heures le milieu underground de la contrée marseillaise.

Tout commençait si bien, une petite pasta party agrémentée de quelques "16" avec mon partenaire chez moi pour ne pas partir au front le ventre creux, quelques mauvaises vannes du genre "T’es sûr que cela ne te dérange pas de perdre le contact avec ton cousin avec ce qu’on va leur mettre ce soir ?" et briefing au sujets des futures victimes, enfin c’est comme cela que l’on les considéraient à ce moment là. Mais tout cela, c’était avant le drame bien entendu. Vers 21:15, nous prenons la route pour aller chercher Jean-Michel, le cousin, et se rendre chez son partenaire.

Toujours détendus, nous arrivons sur les lieux. Jean-Michel, vêtu d’un jogging Adidas floqué des coordonnées d’un club de pétanque et dont l’élastique du pantalon devait vraisemblablement être assez fatigué, sort de la voiture et monte les escaliers avec une bouteille de JB dans les bras, laissant entrevoir une bonne moitié de la raie de son postérieur, tel un carreleur portugais en plein chantier. Le succédant, comme c’est la première fois que je le rencontre je me retiens de pouffer tant bien que mal.

Arrivés devant la porte d’entrée de la demeure, l’hôte ne nous accueille pas. Le cousin, habitué des lieux, ouvre la porte et nous entrons dans l’obscurité. Après quelques pas, une porte s’ouvre, donnant sur une pièce éclairée, c’est la cuisine. Il nous attendait. Pierre. L’environnement commençait à me ramener dans l’ambiance des chefs d’oeuvre les plus glauques de David FINCHER [1], néanmoins j’avance d’un pas sûr, deux bouteilles de "Despé" à la main, sûr de notre jeu. Après les présentations d’usage, Pierre nous interjette "Ho les gars, je me suis un peu aspergé en vous attendant". Le ton est donné. Mon regard croise celui d’Hervé, comme si nos esprits étaient connectés : si un des deux a déjà abandonné une partie de ses facultés, les choses seront facilitées, même si à cet instant, cela nous semblait encore superflu.

Après un malentendu que nous avons rapidement dissipé ("on tire les rois ?"), début des hostilités. La première maine est une chute de notre équipe, comme un mauvais présage. Tout s’enchaîne assez vite, pas trop de possibilités de parler ou toujours surenchéris par la partie adverse. Après quelques maines, nous nous retrouvons avec quarante misérables points sauvés contre déjà plusieurs centaines. Mais cela n’atteint en rien notre moral, nous replongeant 10 ans en arrière, quand nous n’étions pas capable de gagner une partie si on avait pas au moins 1000 points de retard. Mais rien n’y fait et nous perdons cette partie avec environ 1000 points de retard. Pourtant nos adversaires n’ont rien d’une équipe soudée, Pierre rabaisse régulièrement son partenaire et se plaint de façon répétée de sa manière de jouer. C’est vrai qu’il commet quelques erreurs, manque d’assurance dans des phases de jeu qui sont sensées être automatiques, mais globalement les résultats sont de leur côté.

Convaincus que nous venons de traverser une mauvaise passe et qu’il est parfaitement impossible que cela se reproduise, la partie suivante commence et malheureusement de manière identique à la première, toujours pas de jeu, chaque prise de risque est sanctionnée. Les maines sont rythmées par les rasades de Whisky et Pierre se décompose peu à peu, si bien qu’il se lève d’un seul coup et va chercher des biscuits apéritifs dans une autre pièce, se déplaçant comme s’il s’agissait pour lui d’un besoin vital. Quelques minutes plus tard, il lui en fallait plus et il se dirige vers le réfrigérateur pour en sortir des tranches de rosette emballées sous vide qu’il se partage avec son partenaire. Les macaronis sauce aux thon et aux anchois du dîner me tenant solidement au corps, je refuse poliment les propositions répétées de charcuterie. Vu l’état de l’un de nos deux adversaires, il devenait pour nous évident que le retard allait se combler. Mais non, et comme pour en rajouter, je commets une erreur lors d’une défausse et nous perdons un capot annoncé. Rapidement, la partie se solde d’une manière similaire à la précédente. Je commence à lire la détresse dans le regard de mon partenaire. Pourquoi le jeu est-il toujours de leur côté, pourquoi le peu d’erreur que nous faisons est toujours aussi chèrement facturé ? Des questions qui restent sans réponse. Pierre, toujours affamé, plonge une nouvelle fois dans le garde manger pour en sortir une barquette de jambon cru. Il est de plus en plus amoché, joue avec des bouts de tranches de charcuterie qui pendent de la bouche et pourtant il suit toujours. Son jeu n’est pas très travaillé, n’a rien de déstabilisant cependant, il est juste dans la plupart des cas. Et notre tandem semble toujours abandonné du destin, un capot annoncé réussi ne semble pas pouvoir combattre les forêts d’as qu’abattent nos adversaires durant les autres maines. C’est donc dans un silence de mort, car il n’y a même pas une vieille radio dans la cuisine pour relever l’ambiance, que cette nouvelle partie nous échappe.

Persuadés que les cartes ne peuvent pas rester aussi stériles dès qu’elles touchent nos mains, nous nous obstinons et recommençons comme si nous étions à la quête du Saint GRAAL. Pierre, qui est arrivé à bout de ses victuailles mais encore de la bouteille, ne tient presque plus sur sa chaise et nous l’assistons à tous les tours durant lesquels il doit assurer la donne pour éviter qu’il ne distribue six cartes à la fois, il faut dire qu’elles sont devenues un peu grasses après deux barquettes de charcuterie. Son jeu commence enfin à s’en ressentir en même temps que les as reviennent peu à peu dans notre camp. Et c’est dans ces conditions peu glorieuses que nous arrachons la dernière partie avec un score loin d’être aussi représentatif que ceux récolté lors du tournoi O’Ness (je sais, on revient souvent dessus).

Il est déjà plus de 02:00 du matin et nous quittons enfin ce lieu de torture, un peu sonnés par la déculottée, comme des boxeurs, mais, rappelons-le toujours pas d’Adrienne à la maison. Hervé dépose Jean-Michel et nous commençons à débriefer fébrilement dans la voiture, ne comprenant pas vraiment ce qu’il venait de se dérouler. Cette soirée a répondu à l’interrogation qu’un grand nombre d’observateurs internationaux se posait depuis longtemps : des êtres de chair et de sang peuvent ils gagner plus d’une partie d’affilée contre Hervé et Brice ? C’est Jean-Michel et Pierre qui ont apporté cette réponse.

C’est la gorge serrée que le lendemain des événements, après une nuit passée dans un sommeil tourmenté, j’écris ces quelques lignes pour vous officialiser notre chute, première étape de la thérapie qui sera nécessaire pour que je puisse retrouver un semblant d’équilibre mental. Hervé paraît avoir plongé plus profond car il m’a avoué juste avant de me déposer qu’il comptait boire toute la journée qui allait suivre...

[1] Seven, Fight Club


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